Le 1er janvier,
Raphaël Mayet entrait en fonction comme bâtonnier de l’Ordre des avocats de
Versailles. Auprès du JSS, il dresse les priorités de son mandat avec un
mot d’ordre : proximité.
JSS : Quel a été votre
parcours avant le bâtonnat ?
Raphaël Mayet : Je
suis avocat au barreau de Versailles depuis décembre 1992. J'ai été secrétaire
de la conférence en 1994-1995 et membre du Conseil de l'Ordre de 2008 à 2013.
J'ai également présidé la commission pénale de l'Ordre des avocats et la
commission des hospitalisations sans consentement de 2011, date de sa création,
à 2020, date à laquelle une consœur entrée au Conseil de l'Ordre a pris la
présidence de cette commission au sein de laquelle je suis toujours actif.
Sur un plan plus personnel,
j'ai aujourd'hui une activité centrée sur deux piliers. Le premier : le
droit des soins sans consentement. J'ai posé plusieurs questions prioritaires
de constitutionnalité qui ont fait évoluer la loi en cette matière, depuis
celle du 9 juin 2011 jusqu'à celle de mars dernier. Je suis intervenu à
plusieurs reprises devant le Conseil constitutionnel à propos du contrôle des
mesures d'hospitalisation, d'isolement et de contention, ce qui a abouti à des
changements législatifs importants. C'est un pan important de mon activité. J'ai
aussi un pan d'activité sur le droit social, puisque je suis associé depuis
2000 avec François Perrault, au sein d’un cabinet situé sur la place du marché
à Versailles.
JSS : Pourquoi avez-vous
choisi de vous présenter au bâtonnat à Versailles?
R.M. : J'ai
choisi de porter ma candidature au suffrage des confrères avant tout pour
redonner une certaine dynamique au barreau de Versailles, de le remettre au
cœur de la cité, au plus proche des préoccupations des justiciables.
Je veux également impulser un
renouveau dans les relations humaines, puisque la crise sanitaire a abouti à la
dématérialisation des échanges entre avocats et juridictions. Je pense qu'il
faut les remettre au cœur de la justice, car la justice est une œuvre
essentiellement humaine.
Je souhaite aussi exercer de
nouvelles missions confiées au bâtonnier ou à l'Ordre, comme la visite des
lieux de privation de liberté et le contrôle des contrats de collaboration des
avocats inscrits au barreau. Nous avons sur le département quatre lieux de
l'administration pénitentiaire, sept établissements hospitaliers, un centre de
rétention administrative, ainsi qu’un certain nombre de commissariats et
brigades de gendarmerie. Ce sont tous ces lieux que la loi nous donne
aujourd'hui la faculté de visiter, et donc nous allons nous y mettre. Je me
rendrai en priorité à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, que le contrôleur
général des lieux de privation de liberté a inspecté l’an dernier. Cette visite
a donné lieu à des recommandations en urgence.
JSS : À ce propos,
plusieurs barreaux, dont celui de Versailles, ont saisi avec succès le tribunal
administratif de Versailles en avril dernier pour contraindre l’État à mettre
en place des mesures d’urgence. Comment comptez-vous poursuivre votre travail
pour l’amélioration des conditions de détention ?
R.M. : Je
sais qu’un certain nombre de travaux ont été engagés par la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy.
Je vais aller vérifier ce qui a été fait depuis la visite du contrôleur général
des lieux de privation de liberté et depuis la décision rendue par le tribunal
administratif de Versailles. Nous nous calquerons sur le rapport fait par le
contrôleur général des lieux de privation de liberté pour voir s'il y a eu ou
non des améliorations.
Il y a aussi une question
particulière sur le lieu de détention : nous n'avons pas, dans les
Yvelines, d’unité hospitalière spécialement aménagée, c'est-à-dire des lieux où
des personnes détenues et qui souffrent de troubles psychiques sont soignées.
C'est une vraie question puisque, à l'heure actuelle, les détenus souffrant de
troubles psychiques qui sont envoyés à l'hôpital sont immédiatement placés à
l'isolement pendant toute la durée de leur séjour, ce qui est très
contre-productif. Je vais m’emparer de ces questions.
Nous allons par ailleurs très
prochainement écrire aux parlementaires du département pour demander que la loi
étende ce droit de visite aux établissements psychiatriques, au nombre de sept
dans le département et pour lesquels nous souhaitons nous rendre compte par
nous-mêmes des conditions dans lesquelles les personnes font l'objet de mesures
de privation de liberté, pour une très longue durée pour certains.
JSS : Quelles sont vos
autres priorités pour ce mandat ?
R.M. : D'abord,
je souhaite qu'il y ait une très grande proximité du bâtonnier auprès des
confrères. C'est pour cela que je leur proposerai de les recevoir une
demi-journée par semaine sans rendez-vous. Le temps où le bâtonnier pouvait
paraître quelqu'un d’assez lointain est révolu. Cette question de proximité du
bâtonnier avec les avocats inscrits au barreau est une priorité.
L’autre priorité est de
renouveler les relations avec les juridictions qui ont été mises à mal par la
crise sanitaire et la dématérialisation des procédures. C’est important de
trouver les occasions de se rencontrer.
Je souhaite aussi aller à la
rencontre de ceux qui font la vie économique et sociale du département, comme
les entrepreneurs ou les associations de famille, avec des thématiques qui
peuvent être très variées, que ce soit le harcèlement scolaire, l'emploi des
seniors ou la transmission d'entreprise par exemple. Quand je parle de remettre
le barreau au cœur de la cité, l’objectif est que chaque personne dans les
Yvelines sache que, sur le département, il y a une collectivité d'avocats qui
se soucie de leurs préoccupations, et pas des préoccupations des avocats.
Nous souhaitons que les
préoccupations de toute la population soient prises en considération et que
celle-ci sache qu’elle aura des interlocuteurs compétents pour répondre à ses
questions.
JSS : Vous souhaitez
également restaurer l’attractivité du métier d’avocat, notamment avec la
détection des problématiques de bien-être au travail. Que comptez-vous mettre
en place pour cela ?
R.M. : Nous
sommes déjà en train de travailler sur cette question. La profession d'avocat
est une profession soumise à beaucoup de pressions, qu’elles soient liées à
l'enjeu des dossiers ou aux difficultés économiques notamment, puisque nous
avons été les grands oubliés du « quoi qu'il en coûte ». Cela aboutit
au fait que beaucoup de confrères quittent la profession, parfois pour des
questions de mal-être au travail. Nous avons prévu de former les confrères sur
la prévention du burn out, qui arrive parfois sans prévenir.
« Un
barreau où l'on se sent bien est un barreau que l'on va aimer et que l’on va
avoir du mal à quitter. »
Raphaël Mayet, nouveau bâtonnier de Versailles
Une commission sera
spécialement affectée à cette problématique avec l'intervention de
professionnels de santé. Nous souhaitons aussi impliquer les avocats honoraires,
afin d’offrir une écoute pour tous les questionnements à tous les confrères en
activité, spécifiquement les plus jeunes. Un barreau où l'on se sent bien est
un barreau que l'on va aimer et que l’on va avoir du mal à quitter. Si les
confrères se sentent appuyés, c'est un critère d'attractivité durable. La
question de la santé au travail a été trop peu traitée, alors même qu’elle est
très présente pour la vie des avocats.
JSS : Vous allez également
organiser un entretien systématique après les six premiers mois d’exercice d’un
avocat. Cela fait aussi partie de cette problématique ?
R.M. : Oui,
je vais dès les premières semaines de mon mandat accueillir les sept avocats
qui ont prêté serment à l'automne et que j’ai déjà reçus avant leur prestation
de serment. Je vais leur demander ce qu'ils pensent de leurs premiers mois
d'exercice, pour savoir si la profession et le barreau de Versailles répondent
à leurs attentes et s’ils se sentent bien dans leur exercice quotidien. Ce sont
dans les premiers mois que les conditions de travail ont l’impact le plus
important sur notre envie de rester avocat.
JSS : Vous avez
participé en novembre dernier à la manifestation contre l’antisémitisme, à
l’appel du CNB et de la Conférence des bâtonniers. Quel peut être le rôle de
l’avocat dans ce contexte ?
R.M. : La
Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux ont appelé les
avocats à se rendre à cette manifestation qui avait pour vocation de rassembler
toutes les parties de la société qui se sentent concernés, et nous nous sentons
concernés par cette situation.
Nous voulions rappeler que 40
de nos compatriotes ont été victimes de ces attaques terroristes. Nous voulions
également rappeler que, dans notre pays, ce type de comportement, qui peut
commencer par des injures, des mises aux ban, par des déclarations d’hommes
publics, n’a pas sa place. Nous sommes là pour rappeler que chaque citoyen doit
être respecté dans ses convictions et dans sa pratique religieuse.
J’ai plaidé en décembre au
tribunal administratif de Strasbourg, de l'autre côté de la rue par rapport à
la synagogue de Strasbourg, où une communauté juive importante est visible. De
voir que, dans mon propre pays, on doive se rendre à la synagogue sous la
protection des forces de l'ordre est quelque chose qui me heurte. Certains
propos, insinuations ou menaces clairement proférées, ne sont pas acceptables.
Sur le ressort de Versailles,
nous avons une communauté juive qui a été lourdement frappée par les attentats
de 2012, puisque la famille de certaines des victimes de Mohamed Merah est issue
du département des Yvelines, certains étaient même des responsables de la
communauté juive de Versailles. Cette communauté doit savoir qu’en tant que
bâtonnier, je serai à leurs côtés si jamais elle devait être mise en cause ou
menacée.
JSS : Éric
Dupond-Moretti a annoncé en début d’année vouloir mettre en place une véritable
politique de l’amiable. Est-ce un projet que vous soutenez ? Comment les
avocats – et a fortiori, ceux de Versailles – s’y préparent-ils ?
R.M. : La
politique de l'amiable ne doit pas être mise en place simplement pour résorber
un stock d'affaires et de faire traiter ce que la justice aurait du mal à
traiter. On prend le problème dans une situation de crise, par exemple par le
délai de jugement de certaines affaires, en nous disant que comme il y a
beaucoup d'affaires en stock, il faut passer par d'autres solutions. C’est
peut-être une bonne idée mais peut-être avec derrière des intentions qui sont
pas forcément partagées par la profession.
Il faut savoir que les
avocats pratiquent déjà la politique de l’amiable. Un certain nombre de litiges
sont évités par le dialogue entre avocats. À Versailles, nous avons participé à
la mise en place du Centre Yvelines médiation, dans lequel le barreau de
Versailles est partie prenante depuis des années, et des avocats du barreau de
Versailles font partie du conseil d'administration de cette association. Il
existe une commission des modes alternatifs de règlement des différends et nous
participons aux réunions organisées par les juridictions administratives ou
judiciaires.
Sur la politique de règlement
amiable, nous avons là une évolution majeure de la procédure civile qui va
faire que les magistrats vont pouvoir orienter un certain nombre de dossiers
vers des formes de règlement amiable. Cela fonctionnera si le justiciable trouve
un intérêt à passer par cette voie, d’abord si les procédures vont beaucoup
plus vite que s’ils passent par le circuit juridictionnel. Une médiation ne
doit pas être une occasion pour une partie qui serait récalcitrante de faire
renvoyer son affaire aux calanques grecques. On risquerait d’avoir un effet
pervers avec des parties n’ayant aucune intention d’aller au bout de la
médiation qui vont s’engager dans ce processus, et ne vont faire que gagner du
temps.
La principale tâche sera de
cibler le profil de dossiers susceptibles de faire l'objet de médiation. Tous
les dossiers ne se prêtent pas à des médiations. Dans des dossiers de voisinage
par exemple, ce mécanisme fonctionne déjà. Parfois, la médiation intervient à
contre-temps, par exemple si on la propose au bout d'une procédure d'appel
alors que l'on a attendu pendant quatre ou cinq ans la décision.
JSS : Le garde des
Sceaux a également annoncé début 2023 un plan massif de recrutements pour la
justice – 10 000 personnels de justice qui seront recrutés d'ici à 2027, dont 1
500 magistrats. C’est beaucoup, mais est-ce à même de régler tous les maux dont
la justice est régulièrement accusée ?
R.M. : C'est
un gros effort qui a été accompli. Nous avons des postes supplémentaires qui
ont été créés dans des proportions importantes, ce qui devrait nous permettre
d'avoir une réponse des juges à la hauteur de l’attente des justiciables.
Est-ce que cela va régler toutes les difficultés ? Je n'en suis pas
certain. Il y a une certaine proximité de l'institution judiciaire avec le
justiciable qui a été un peu rompue avec les modes de dématérialisation. Je n'irai
pas jusqu'à dire que le pays a divorcé avec l'institution judiciaire, mais on
sent que la confiance doit être restaurée. C’est peut-être en renforçant cette
proximité entre le monde judiciaire et le justiciable que la confiance dans
l’institution judiciaire sera consolidée.
Il n’y a pas de monde
judiciaire sans justiciable. Le monde judiciaire est un tout. Clémenceau disait
que la guerre était une chose trop grave pour la confier uniquement aux
militaires, et je pense que la justice est une chose trop grave pour la confier
uniquement aux gens de justice. Les justiciables doivent être, d'une façon ou
d'une autre, associés à toutes les réflexions qui gravitent autour de
l'institution judiciaire. Cela peut passer par des rencontres avec les élus de
terrain, comme les maires par exemple, pour connaitre le ressenti des citoyens
par rapport à l’institution judiciaire.
JSS : Que retenez-vous
de l’année 2023 pour la profession ?
R.M. : L'année
2023 a été une année assez difficile pour la profession d'avocats sur le plan
économique. Nous sommes toujours dans une phase d’après crise sanitaire, avec
un certain nombre d'effets de rattrapage de charges et de prêts garantis par
l’État. Toutes ces questions deviennent extrêmement délicates pour beaucoup de
cabinets, il faut y être attentif, car cela conduit certains à quitter la
profession. Il y a une sorte de sentiment d'insécurité, qui s'est répandu parmi
les confrères et qui fait que certains d'entre eux certains d'entre eux
quittent la profession.
2023 est aussi l'année au
cours de laquelle un certain nombre de prérogatives des avocats ont pu se
mettre en place comme les visites des lieux de privation de liberté. Ce sont
des évolutions importantes car cela doit faire partie du rôle de l'avocat au
cœur de la cité.
JSS : Le barreau de
Versailles fêtera ses 200 ans en décembre 2025, à la fin de votre mandat. Des
festivités sont-elles déjà en préparation ? Quels sont vos souhaits pour fêter
dignement cet anniversaire ?
R.M. : 2025
sera le bicentenaire non seulement du barreau, mais aussi du tribunal. Je
souhaiterais que certaines des manifestations qui auront lieu se déroulent de
façon commune avec le tribunal.
Ce bicentenaire doit surtout être
une occasion de nous rassembler et d'avoir une vraie unité de notre profession.
Je souhaiterais que ces événements se déroulent à Versailles, mais aussi dans
d'autres lieux du département, puisque l'essentiel de l'activité du département
des Yvelines n'est pas dans son chef-lieu. Ce sera l’occasion de faire rayonner
le barreau de Versailles.
Nous avons un département
très varié. Il est pour une bonne partie un département rural, contrairement à
l'image que certains peuvent avoir d'un département francilien. C'est aussi un
département où les populations aisées côtoient des populations très
défavorisées. Je veux que le barreau se projette vis-à-vis de tous les tous les
justiciables du département.
Cet anniversaire sera aussi
l'occasion de retracer l'histoire du barreau par un certain nombre de grandes
heures du barreau de Versailles, pour lesquelles l'histoire de celui-ci rejoint
parfois l'histoire tout court. Les procès de la Commune ont eu lieu à
Versailles. Des procès célèbres comme le procès Landru ou comme le procès Weidmann
s’y sont également déroulés juste avant la Seconde Guerre mondiale. C'est aussi
un barreau qui a été traversé par trois conflits, de 1870 à 1945. Cet
anniversaire permettra de renforcer nos racines pour nous donner des ailes plus
puissantes.
Propos
recueillis par Alexis Duvauchelle