DROIT

INTERVIEW. Raphaël Mayet, nouveau bâtonnier de Versailles : « Il faut remettre le barreau au cœur de la cité »

INTERVIEW. Raphaël Mayet, nouveau bâtonnier de Versailles : « Il faut remettre le barreau au cœur de la cité »
Publié le 12/01/2024 à 13:10

Le 1er janvier, Raphaël Mayet entrait en fonction comme bâtonnier de l’Ordre des avocats de Versailles. Auprès du JSS, il dresse les priorités de son mandat avec un mot d’ordre : proximité.

JSS : Quel a été votre parcours avant le bâtonnat ?

Raphaël Mayet : Je suis avocat au barreau de Versailles depuis décembre 1992. J'ai été secrétaire de la conférence en 1994-1995 et membre du Conseil de l'Ordre de 2008 à 2013. J'ai également présidé la commission pénale de l'Ordre des avocats et la commission des hospitalisations sans consentement de 2011, date de sa création, à 2020, date à laquelle une consœur entrée au Conseil de l'Ordre a pris la présidence de cette commission au sein de laquelle je suis toujours actif.

Sur un plan plus personnel, j'ai aujourd'hui une activité centrée sur deux piliers. Le premier : le droit des soins sans consentement. J'ai posé plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité qui ont fait évoluer la loi en cette matière, depuis celle du 9 juin 2011 jusqu'à celle de mars dernier. Je suis intervenu à plusieurs reprises devant le Conseil constitutionnel à propos du contrôle des mesures d'hospitalisation, d'isolement et de contention, ce qui a abouti à des changements législatifs importants. C'est un pan important de mon activité. J'ai aussi un pan d'activité sur le droit social, puisque je suis associé depuis 2000 avec François Perrault, au sein d’un cabinet situé sur la place du marché à Versailles.

JSS : Pourquoi avez-vous choisi de vous présenter au bâtonnat à Versailles?

R.M. : J'ai choisi de porter ma candidature au suffrage des confrères avant tout pour redonner une certaine dynamique au barreau de Versailles, de le remettre au cœur de la cité, au plus proche des préoccupations des justiciables.

Je veux également impulser un renouveau dans les relations humaines, puisque la crise sanitaire a abouti à la dématérialisation des échanges entre avocats et juridictions. Je pense qu'il faut les remettre au cœur de la justice, car la justice est une œuvre essentiellement humaine.

Je souhaite aussi exercer de nouvelles missions confiées au bâtonnier ou à l'Ordre, comme la visite des lieux de privation de liberté et le contrôle des contrats de collaboration des avocats inscrits au barreau. Nous avons sur le département quatre lieux de l'administration pénitentiaire, sept établissements hospitaliers, un centre de rétention administrative, ainsi qu’un certain nombre de commissariats et brigades de gendarmerie. Ce sont tous ces lieux que la loi nous donne aujourd'hui la faculté de visiter, et donc nous allons nous y mettre. Je me rendrai en priorité à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a inspecté l’an dernier. Cette visite a donné lieu à des recommandations en urgence.

JSS : À ce propos, plusieurs barreaux, dont celui de Versailles, ont saisi avec succès le tribunal administratif de Versailles en avril dernier pour contraindre l’État à mettre en place des mesures d’urgence. Comment comptez-vous poursuivre votre travail pour l’amélioration des conditions de détention ?

R.M. : Je sais qu’un certain nombre de travaux ont été engagés par la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy. Je vais aller vérifier ce qui a été fait depuis la visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté et depuis la décision rendue par le tribunal administratif de Versailles. Nous nous calquerons sur le rapport fait par le contrôleur général des lieux de privation de liberté pour voir s'il y a eu ou non des améliorations.

Il y a aussi une question particulière sur le lieu de détention : nous n'avons pas, dans les Yvelines, d’unité hospitalière spécialement aménagée, c'est-à-dire des lieux où des personnes détenues et qui souffrent de troubles psychiques sont soignées. C'est une vraie question puisque, à l'heure actuelle, les détenus souffrant de troubles psychiques qui sont envoyés à l'hôpital sont immédiatement placés à l'isolement pendant toute la durée de leur séjour, ce qui est très contre-productif. Je vais m’emparer de ces questions.

Nous allons par ailleurs très prochainement écrire aux parlementaires du département pour demander que la loi étende ce droit de visite aux établissements psychiatriques, au nombre de sept dans le département et pour lesquels nous souhaitons nous rendre compte par nous-mêmes des conditions dans lesquelles les personnes font l'objet de mesures de privation de liberté, pour une très longue durée pour certains.

JSS : Quelles sont vos autres priorités pour ce mandat ?

R.M. : D'abord, je souhaite qu'il y ait une très grande proximité du bâtonnier auprès des confrères. C'est pour cela que je leur proposerai de les recevoir une demi-journée par semaine sans rendez-vous. Le temps où le bâtonnier pouvait paraître quelqu'un d’assez lointain est révolu. Cette question de proximité du bâtonnier avec les avocats inscrits au barreau est une priorité.

L’autre priorité est de renouveler les relations avec les juridictions qui ont été mises à mal par la crise sanitaire et la dématérialisation des procédures. C’est important de trouver les occasions de se rencontrer.

Je souhaite aussi aller à la rencontre de ceux qui font la vie économique et sociale du département, comme les entrepreneurs ou les associations de famille, avec des thématiques qui peuvent être très variées, que ce soit le harcèlement scolaire, l'emploi des seniors ou la transmission d'entreprise par exemple. Quand je parle de remettre le barreau au cœur de la cité, l’objectif est que chaque personne dans les Yvelines sache que, sur le département, il y a une collectivité d'avocats qui se soucie de leurs préoccupations, et pas des préoccupations des avocats.

Nous souhaitons que les préoccupations de toute la population soient prises en considération et que celle-ci sache qu’elle aura des interlocuteurs compétents pour répondre à ses questions.

JSS : Vous souhaitez également restaurer l’attractivité du métier d’avocat, notamment avec la détection des problématiques de bien-être au travail. Que comptez-vous mettre en place pour cela ?

R.M. : Nous sommes déjà en train de travailler sur cette question. La profession d'avocat est une profession soumise à beaucoup de pressions, qu’elles soient liées à l'enjeu des dossiers ou aux difficultés économiques notamment, puisque nous avons été les grands oubliés du « quoi qu'il en coûte ». Cela aboutit au fait que beaucoup de confrères quittent la profession, parfois pour des questions de mal-être au travail. Nous avons prévu de former les confrères sur la prévention du burn out, qui arrive parfois sans prévenir.

« Un barreau où l'on se sent bien est un barreau que l'on va aimer et que l’on va avoir du mal à quitter. »

                                                                                                                                               Raphaël Mayet, nouveau bâtonnier de Versailles

Une commission sera spécialement affectée à cette problématique avec l'intervention de professionnels de santé. Nous souhaitons aussi impliquer les avocats honoraires, afin d’offrir une écoute pour tous les questionnements à tous les confrères en activité, spécifiquement les plus jeunes. Un barreau où l'on se sent bien est un barreau que l'on va aimer et que l’on va avoir du mal à quitter. Si les confrères se sentent appuyés, c'est un critère d'attractivité durable. La question de la santé au travail a été trop peu traitée, alors même qu’elle est très présente pour la vie des avocats.

JSS : Vous allez également organiser un entretien systématique après les six premiers mois d’exercice d’un avocat. Cela fait aussi partie de cette problématique ?

R.M. : Oui, je vais dès les premières semaines de mon mandat accueillir les sept avocats qui ont prêté serment à l'automne et que j’ai déjà reçus avant leur prestation de serment. Je vais leur demander ce qu'ils pensent de leurs premiers mois d'exercice, pour savoir si la profession et le barreau de Versailles répondent à leurs attentes et s’ils se sentent bien dans leur exercice quotidien. Ce sont dans les premiers mois que les conditions de travail ont l’impact le plus important sur notre envie de rester avocat.

JSS : Vous avez participé en novembre dernier à la manifestation contre l’antisémitisme, à l’appel du CNB et de la Conférence des bâtonniers. Quel peut être le rôle de l’avocat dans ce contexte ?

R.M. : La Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux ont appelé les avocats à se rendre à cette manifestation qui avait pour vocation de rassembler toutes les parties de la société qui se sentent concernés, et nous nous sentons concernés par cette situation.

Nous voulions rappeler que 40 de nos compatriotes ont été victimes de ces attaques terroristes. Nous voulions également rappeler que, dans notre pays, ce type de comportement, qui peut commencer par des injures, des mises aux ban, par des déclarations d’hommes publics, n’a pas sa place. Nous sommes là pour rappeler que chaque citoyen doit être respecté dans ses convictions et dans sa pratique religieuse.

J’ai plaidé en décembre au tribunal administratif de Strasbourg, de l'autre côté de la rue par rapport à la synagogue de Strasbourg, où une communauté juive importante est visible. De voir que, dans mon propre pays, on doive se rendre à la synagogue sous la protection des forces de l'ordre est quelque chose qui me heurte. Certains propos, insinuations ou menaces clairement proférées, ne sont pas acceptables.

Sur le ressort de Versailles, nous avons une communauté juive qui a été lourdement frappée par les attentats de 2012, puisque la famille de certaines des victimes de Mohamed Merah est issue du département des Yvelines, certains étaient même des responsables de la communauté juive de Versailles. Cette communauté doit savoir qu’en tant que bâtonnier, je serai à leurs côtés si jamais elle devait être mise en cause ou menacée.

JSS : Éric Dupond-Moretti a annoncé en début d’année vouloir mettre en place une véritable politique de l’amiable. Est-ce un projet que vous soutenez ? Comment les avocats – et a fortiori, ceux de Versailles – s’y préparent-ils ?

R.M. : La politique de l'amiable ne doit pas être mise en place simplement pour résorber un stock d'affaires et de faire traiter ce que la justice aurait du mal à traiter. On prend le problème dans une situation de crise, par exemple par le délai de jugement de certaines affaires, en nous disant que comme il y a beaucoup d'affaires en stock, il faut passer par d'autres solutions. C’est peut-être une bonne idée mais peut-être avec derrière des intentions qui sont pas forcément partagées par la profession.

Il faut savoir que les avocats pratiquent déjà la politique de l’amiable. Un certain nombre de litiges sont évités par le dialogue entre avocats. À Versailles, nous avons participé à la mise en place du Centre Yvelines médiation, dans lequel le barreau de Versailles est partie prenante depuis des années, et des avocats du barreau de Versailles font partie du conseil d'administration de cette association. Il existe une commission des modes alternatifs de règlement des différends et nous participons aux réunions organisées par les juridictions administratives ou judiciaires.

Sur la politique de règlement amiable, nous avons là une évolution majeure de la procédure civile qui va faire que les magistrats vont pouvoir orienter un certain nombre de dossiers vers des formes de règlement amiable. Cela fonctionnera si le justiciable trouve un intérêt à passer par cette voie, d’abord si les procédures vont beaucoup plus vite que s’ils passent par le circuit juridictionnel. Une médiation ne doit pas être une occasion pour une partie qui serait récalcitrante de faire renvoyer son affaire aux calanques grecques. On risquerait d’avoir un effet pervers avec des parties n’ayant aucune intention d’aller au bout de la médiation qui vont s’engager dans ce processus, et ne vont faire que gagner du temps.

La principale tâche sera de cibler le profil de dossiers susceptibles de faire l'objet de médiation. Tous les dossiers ne se prêtent pas à des médiations. Dans des dossiers de voisinage par exemple, ce mécanisme fonctionne déjà. Parfois, la médiation intervient à contre-temps, par exemple si on la propose au bout d'une procédure d'appel alors que l'on a attendu pendant quatre ou cinq ans la décision.

JSS : Le garde des Sceaux a également annoncé début 2023 un plan massif de recrutements pour la justice – 10 000 personnels de justice qui seront recrutés d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats. C’est beaucoup, mais est-ce à même de régler tous les maux dont la justice est régulièrement accusée ?

R.M. : C'est un gros effort qui a été accompli. Nous avons des postes supplémentaires qui ont été créés dans des proportions importantes, ce qui devrait nous permettre d'avoir une réponse des juges à la hauteur de l’attente des justiciables. Est-ce que cela va régler toutes les difficultés ? Je n'en suis pas certain. Il y a une certaine proximité de l'institution judiciaire avec le justiciable qui a été un peu rompue avec les modes de dématérialisation. Je n'irai pas jusqu'à dire que le pays a divorcé avec l'institution judiciaire, mais on sent que la confiance doit être restaurée. C’est peut-être en renforçant cette proximité entre le monde judiciaire et le justiciable que la confiance dans l’institution judiciaire sera consolidée.

Il n’y a pas de monde judiciaire sans justiciable. Le monde judiciaire est un tout. Clémenceau disait que la guerre était une chose trop grave pour la confier uniquement aux militaires, et je pense que la justice est une chose trop grave pour la confier uniquement aux gens de justice. Les justiciables doivent être, d'une façon ou d'une autre, associés à toutes les réflexions qui gravitent autour de l'institution judiciaire. Cela peut passer par des rencontres avec les élus de terrain, comme les maires par exemple, pour connaitre le ressenti des citoyens par rapport à l’institution judiciaire.

JSS : Que retenez-vous de l’année 2023 pour la profession ?

R.M. : L'année 2023 a été une année assez difficile pour la profession d'avocats sur le plan économique. Nous sommes toujours dans une phase d’après crise sanitaire, avec un certain nombre d'effets de rattrapage de charges et de prêts garantis par l’État. Toutes ces questions deviennent extrêmement délicates pour beaucoup de cabinets, il faut y être attentif, car cela conduit certains à quitter la profession. Il y a une sorte de sentiment d'insécurité, qui s'est répandu parmi les confrères et qui fait que certains d'entre eux certains d'entre eux quittent la profession.

2023 est aussi l'année au cours de laquelle un certain nombre de prérogatives des avocats ont pu se mettre en place comme les visites des lieux de privation de liberté. Ce sont des évolutions importantes car cela doit faire partie du rôle de l'avocat au cœur de la cité.

JSS : Le barreau de Versailles fêtera ses 200 ans en décembre 2025, à la fin de votre mandat. Des festivités sont-elles déjà en préparation ? Quels sont vos souhaits pour fêter dignement cet anniversaire ?

R.M. : 2025 sera le bicentenaire non seulement du barreau, mais aussi du tribunal. Je souhaiterais que certaines des manifestations qui auront lieu se déroulent de façon commune avec le tribunal.

Ce bicentenaire doit surtout être une occasion de nous rassembler et d'avoir une vraie unité de notre profession. Je souhaiterais que ces événements se déroulent à Versailles, mais aussi dans d'autres lieux du département, puisque l'essentiel de l'activité du département des Yvelines n'est pas dans son chef-lieu. Ce sera l’occasion de faire rayonner le barreau de Versailles.

Nous avons un département très varié. Il est pour une bonne partie un département rural, contrairement à l'image que certains peuvent avoir d'un département francilien. C'est aussi un département où les populations aisées côtoient des populations très défavorisées. Je veux que le barreau se projette vis-à-vis de tous les tous les justiciables du département.

Cet anniversaire sera aussi l'occasion de retracer l'histoire du barreau par un certain nombre de grandes heures du barreau de Versailles, pour lesquelles l'histoire de celui-ci rejoint parfois l'histoire tout court. Les procès de la Commune ont eu lieu à Versailles. Des procès célèbres comme le procès Landru ou comme le procès Weidmann s’y sont également déroulés juste avant la Seconde Guerre mondiale. C'est aussi un barreau qui a été traversé par trois conflits, de 1870 à 1945. Cet anniversaire permettra de renforcer nos racines pour nous donner des ailes plus puissantes.

Propos recueillis par Alexis Duvauchelle

1 commentaire
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isabelle lelubre
- il y a 3 mois
Mre Raphaël MAYET est bâtonnier à Versailles depuis le 1er janvier 2024

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