JUSTICE

Pôle cold cases : « sept avancées en une année, ce n’est pas rien »

Pôle cold cases : « sept avancées en une année, ce n’est pas rien »
Au pôle, 3 cabinets d'instruction travaillent chacun sur une trentaine de dossiers © TJ Nanterre
Publié le 07/03/2024 à 18:03
Pour son deuxième anniversaire, le pôle cold cases affiche 105 dossiers en cours. Si le nombre d’affaires dont il est saisi est volontairement restreint, volonté motivée par l’apport d’une « plus-value » et d’une « capacité d’enquête renforcée », au TJ de Nanterre, on se réjouit d’une « montée en puissance progressive » de ce pôle. Un quatrième cabinet d’instruction devrait voir le jour l’an prochain.

« Ce pôle est très important car il sort un certain nombre de victimes et de familles de victimes de l’obscurité dans laquelle elles ont été plongées ». Venu visiter les locaux du Pôle national des crimes sériels ou non élucidés au tribunal judiciaire de Nanterre, qui fête ses deux ans d’existence ce mois-ci, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a confirmé, jeudi 7 mars, l’allocation de moyens supplémentaires pour ce pôle unique en son genre. Au programme, la création d’un quatrième cabinet d’instruction « à l’horizon 2025 », l’arrivée d’un contractuel supplémentaire, attaché de justice, ainsi que d’un magistrat du parquet, a annoncé le garde des Sceaux. 

Le ministre de la Justice s’est également félicité qu’un « certain nombre d’affaires » aient d’ores et déjà été élucidées. « C’est une bonne nouvelle. C’est une façon pour les familles de tourner une page très lourde [et de leur] dire : on est près de vous et on travaille encore.  Même si on n’a pas d’assurance absolue de réussir à trouver, des magistrats entourent ces familles pour dire : il reste un espoir. Et parfois, cet espoir est couronné de succès ».

Le ministre de la Justice a confirmé le 7 mars l'arrivée "prochaine" d'un magistrat du parquet au pôle cold cases

Le pôle cold cases, qui a fêté sa « pleine année de travail » en janvier 2024, après avoir été mis en place en mars 2022, avait été inspiré par le groupe de travail présidé par le magistrat Jacques Dallest. Il formulait une série de recommandations, parmi lesquels trois axes principaux : la spécialisation des magistrats, le regroupement des affaires et la constitution d’une mémoire criminelle. Il avait ensuite été concrétisé par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, à l’origine d’une série d’articles ouvrant la voie à la désignation de certains tribunaux pour traiter ces procédures.

« Certains tribunaux », car le pôle cold cases « n’est pas juridiquement un pôle national », rappelle le président du TJ, Benjamin Deparis, lors d’un point avec la presse ce même jour. Son siège peut ainsi figurer théoriquement dans un ou plusieurs tribunaux. Même si le tribunal judiciaire de Nanterre a été désigné par un décret du 20 janvier 2022, et qu’il s’agit pour l’instant d’un site unique, et, de fait, d’un site national ayant vocation à centraliser des affaires, cela pourrait donc un jour ne plus être le cas.

105 affaires en cours contre 53 l’an dernier

Au 1er mars 2024, dévoile le chef de juridiction, 385 procédures ont été identifiées ou portées à la connaissance du parquet du pôle et analysées pour déterminer lesquelles seraient transmises juridiquement au pôle. « Au total, au 31 décembre 2022, nous avions 53 affaires en cours ; aujourd’hui, le pôle est effectivement saisi de 105 affaires », récapitule Benjamin Deparis, principalement identifiées par des juridictions, les enquêteurs de l'Office central de répression des violences aux personnes, le pôle lui-même ou encore des avocats.

Dans le détail, 77 affaires et 11 parcours criminels se trouvent encore chez les juges d’instruction, et 16 dossiers et un parcours criminel en enquête préliminaire. Le « parcours criminel », c’est cette innovation judiciaire via laquelle la vie des plus grands criminels français est épluchée et croisée avec d’autres affaires. Ce, en prenant le contrepied de la procédure classique, puisqu’au lieu de partir d’un fait, d’identifier l’auteur et de travailler sur sa personnalité, le travail d’enquête part soit des personnes condamnées pour une des infractions susceptibles d’entraîner la compétence du pôle, soit de celles à l'encontre desquelles il existe des charges. 

Objectif : retracer leurs faits et gestes, afin d’avoir une connaissance précise de leur localisation à des moments donnés, pour « réussir à dégager une trajectoire qui va peut-être permettre de faire des connexions avec des dossiers en cours et clôturés, y compris extérieurs au pôle, et compléter des investigations ; ouvrir ou fermer des pistes », développe le procureur Pascal Prache, qui précise que cette méthode a vocation à permettre de travailler sur des trajectoires sérielles.

Sept dossiers ont évolué au cours de l’année

Autres statistiques notables, trois-quarts des victimes, dans les affaires regroupées au pôle cold cases, sont des femmes ; un quart sont des mineurs, et la grande majorité des dossiers concernent, sans surprise, des homicides. Par ailleurs, un tiers des affaires en instruction aujourd’hui sont issues de non-lieux et de classements sans suite, « ce qui signifie que l’on ressort des affaires terminées, parfois archivées ».

« Sept situations ont évolué au cours de cette année », ajoute le président du TJ, qui évoque cinq mises en examen (dont trois détenus et deux contrôles judiciaires), une élucidation de dossier sans mise en examen, l’auteur étant décédé, et une condamnation définitive, celle de Monique Olivier, dans un dossier comportant trois victimes. Si le chiffre peut paraître modeste, Benjamin Deparis n’est pas de cet avis. « Sept sur 77, c’est presque 10 %, ce n’est pas rien. Certes, ça ne pourra jamais être à la hauteur des attentes, mais pour une première année de plein exercice, c’est notable », souligne-t-il. Parmi les progrès récents, des avancées dans l’information judiciaire concernant le meurtre de la joggeuse Caroline Marcel. 15 ans après les faits, et grâce notamment à l’exploitation de l’ADN, un suspect a pu être mis en garde à vue puis placé en détention provisoire en janvier dernier.

Le procès de Monique Olivier, qui s’est étiré du 28 novembre au 19 décembre 2023, est quant à lui hautement symbolique, puisqu’il s’agit du tout premier procès du pôle, après avoir été l’une des premières affaires dont il avait été saisi. « L’objectif était de tenir ce procès dès que possible », explique Pascal Prache - à peine cinq mois se sont ainsi écoulés entre l’ordonnance de mise en accusation et la tenue du procès - et d’avoir « une réponse rapide avec une attention particulière pour les victimes ». L’ex-femme de Michel Fourniret a été condamnée le 19 décembre par la cour d’assises des Hauts de Seine à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 20 ans pour complicité dans les enlèvements et les meurtres de Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish, ainsi que pour la séquestration suivie de mort d’Estelle Mouzin.

Une « montée en puissance progressive »

« Il y a une montée en puissance progressive [du pôle], affirme le procureur. A sa création, il n’y avait pas encore de liste nationale de l’ensemble des dossiers qui pouvaient le rejoindre. » La première mission du parquet a consisté à essayer d'identifier ces affaires : la juridiction étant à compétence concurrente, elle ne traite donc pas de toutes les affaires de France non élucidées. Les conditions prévues par la loi sont cumulatives : pour qu’une affaire puisse arriver devant le pôle, elle doit revêtir une grande complexité, un caractère sériel ou non élucidé au sens d’une non identification d’une personne depuis 18 mois minimum, et doit concerner un crime (meurtre, viol, empoisonnement, actes de torture et de barbarie, ou enlèvement et séquestration). 

D’autres critères indicatifs ont par ailleurs été déployés, « sans ligne rigide mais avec une analyse in concreto de chaque dossier », selon Pascal Prache. Le pôle s’attache notamment à la notion de plus-value (quel peut être l’intérêt de confier ce dossier au pôle ?), mais aussi aux circonstances des faits, à leur nature, à la minorité des victimes, à la dimension internationale démontrée ou potentielle ou encore à l’ancienneté des faits. Le dossier le plus ancien dont il est saisi remonte ainsi à 1972. « Toutefois, ça ne signifie pas que lorsque les critères ne sont pas remplis, on n’étudie pas le dossier », nuance le procureur. Certaines affaires sont ainsi postérieures à 2015. A l’inverse, la saisine du pôle va être écartée « en tout cas dans un premier temps » quand le dossier est déjà en voie d’élucidation. Avec un contre-exemple tout trouvé, puisque le dossier Monique Olivier est arrivé au pôle alors que sa mise en examen était déjà intervenue.

30 dossiers par cabinet pour « préserver la capacité d’enquête »

Aujourd’hui, en vertu de la sélection opérée, les magistrates Sabine Khéris, Nathalie Turquey et Emmanuelle Ducos œuvrent chacune sur une trentaine de dossiers, en co-saisine sur cinq, et collégialement sur une seule affaire, « emblématique », la tuerie de Chevaline, ce quadruple assassinat perpétré en 2012 en Haute-Savoie. Cet étiage ne devrait pas être amené à évoluer, ou peu, selon le TJ de Nanterre. Et bien qu’un quatrième cabinet d’instruction devrait bientôt voir le jour, des voix s’élèvent pour protester contre des volumes et des moyens bien insuffisants. Dans une lettre du 23 février au ministre de la Justice, l’avocat spécialisé Didier Seban a ainsi martelé que « 30 dossiers par juge, c'est se moquer des familles », alors que plusieurs milliers de cold cases attendent d’être résolus.

Le président du TJ de Nanterre et le procureur veulent maintenir au pôle "une dimension opérationnelle et efficace"

Au TJ, on admet qu’il peut y avoir des « incompréhensions », mais on répète les mêmes arguments. Pascal Prache ne varie pas d’un iota dans son raisonnement : « Nous sommes pragmatiques sur le gain qui peut être apporté par le pôle. Les attentes sont démesurées, et à juste titre, par rapport à des situations dramatiques que les familles vivent parfois depuis des décennies. Mais il ne s’agit pas de prendre un dossier pour prendre un dossier. Si le pôle prend, c’est qu’il considère qu’il a vocation à avancer. » Le procureur le martèle : « On n’ouvre pas d’information judiciaire dans un cabinet s’il nous indique qu’il considère qu’il a trop de dossiers ou que le moment n’est pas opportun car il vient d’ouvrir d’autres procédures. » La seule prise de connaissance d’une affaire durerait généralement un mois à temps plein, argue à son tour Benjamin Deparis.

Et si les cabinets d’instruction généralistes ont généralement 90 à 120 dossiers sur le bureau, soit plus du triple, Pascal Prache insiste sur l’importance de développer, au pôle, « une dimension opérationnelle et efficace » : « Il s’agit de préserver la capacité d’enquête renforcée des juges d’instruction du pôle, pas de reproduire les difficultés habituelles qui ont pu conduire à ce que les dossiers arrivent chez nous. » En clair, les juges doivent avoir du temps à consacrer à chaque dossier, et bien que la capacité d’absorption des cabinets soit susceptible d’évoluer, la capacité de traitement doit être préservée, nous dit-on. Mais pourquoi alors ne pas recruter massivement des magistrats spécialisés, à l’heure où le budget pour la justice n’a jamais été aussi élevé ? Là aussi, la réponse fuse : « Pour cela, il faut des magistrats spécialisés, et pour l’heure, il y en a peu. » 

De nouvelles méthodes et une mémoire criminelle renforcée

Côté nouveautés, si les confidences des deux chefs de juridiction et de parquet sont rares, secret de l’instruction oblige, rappellent-ils, des explorations en matière d’archéologie forensique (c’est-à-dire dans un contexte criminel de recherche de corps enfouis), une coopération avec la sécurité civile sur des battues et une nouvelle méthodologie de travail visant des approches complémentaires seraient « sur la table ». Avec un objectif, in fine, de ruissellement : « Parce que le pôle est spécialisé et gagne en spécialisation au fur et à mesure de son existence, il a vocation à échanger ensuite avec les parquets locaux pour partager ces éléments de technicité », expose Pascal Prache. 

Par ailleurs, alors que l’avocat Didier Seban déplorait mardi dernier, lors d’une conférence de presse, l’obsolescence du logiciel métier Winstru servant aux juges d’instruction, qui pourrait selon lui entraîner la perte de milliers de données datant d’avant 2018, Pascal Prache précise « qu’un travail est mené avec l’administration centrale » pour faire en sorte que cette dernière « ait accès » à ce programme qui conserve « des références ou des listes d’actes accomplis ».

Plus largement, Benjamin Deparis évoque pour sa part un vaste chantier « de constitution d’une mémoire criminelle » afin de « construire une base de données de toutes les données qui existent en matière criminelle » : fichiers de police, de gendarmerie, d’administrations, données judiciaires dont certaines, anciennes, « ne sont pas toujours numérisées, pas toujours identifiables ». Ces informations devraient être croisées avec des sources ouvertes, « et pourquoi pas avec les signalements des citoyens ». « Nous sommes en relation avec l’administration centrale sur ce point », affirme le président du TJ, qui évoque un « chantier très ambitieux qui sortira de terre ». « Il n’y aura pas de perte de données », assure-t-il.

Bérengère Margaritelli

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